Témoignage de M. Nabouhane Abdallah, 77 ans, Chef de Comité de Reboisement, sur les conséquences de la déforestation sur les ressources en eau et la fertilité des terres. Publié par HaYba FM
“Je m’appelle Nabouhane Abdallah, je suis né au quartier de Barakani à Adda en 1944, avant le cyclone de 1950. Je suis père de 12 enfants.
La forêt de notre village était considérée comme la mère nourricière de la région de Nyumakele avec la présence de plusieurs ressources naturelles. Depuis mon enfance, je me souviens que la forêt était toute proche du village. Il y avait plusieurs espèces d’animaux dont aujourd’hui on ne les voit pas, le Mniyakanga, Ninga des Comores, Kanga. Dans nos champs, on voyait en haut des arbres les nids des oiseaux. À cause de la déforestation massive et illégale, aujourd’hui il faut marcher très loin dans la forêt pour avoir la chance de les voir.
Quand les colons étaient dans le village, nous n’avions pas le droit de cultiver dans la forêt sous peine des sanctions. Les cultures principales cultivaient à l’époque par la majorité des agriculteurs étaient le riz pluvial et le maïs. Ces cultures étaient plantées tout proche du village. La récolte était toujours insuffisante pour nourrir une famille pendant toute l’année.
Les années 80 :
C’est à l’époque du président Ahmed Abdallah, dans les années 1980, que j’ai constaté les grands défrichages dans la forêt. Les gens ont commencé à intensifier la plantation des bananes et des taros sous les grands arbres malgré qu’il y eût des gardes forestiers. Avec l’augmentation de la population et le manque d’emplois à part l’agriculture et l’élevage, le processus de défrichage, plus particulièrement avec la coupe des grands arbres forestiers s’est accéléré au fur et à mesure. Cela s’explique aussi par les besoins croissants en bois de la forêt pour la construction des maisons et pour alimenter les quelques alambics des villages voisins (Ngandzalé, Domoni, Adda, Nyumakele bas). La vente du bois d’œuvre pour la fabrication des portes, lits et meubles dans les grandes villes d’Anjouan a aussi beaucoup contribué aux actions de déforestation. Toutefois, à l’époque les matériels utilisés étaient la hache et de la scie manuelle donc la vitesse sur la coupe des arbres était lente comparée à ce que se passe actuellement avec l’arrivée des scies électriques. La vente de bois et le circuit de vente étaient surveillés, car je me souviens qu’à l’époque, c’était pendant les nuits que les transports du bois vers les villes étaient effectués. La corruption contribue beaucoup à ce phénomène dans le sens ou aussi bien les gardes forestiers, les autorités locales que les agents de l’armée ferment les yeux moyennant des avantages pécuniaires ou une contrepartie sur les arbres coupés.
Expansion de l’agriculture :
J’ai aussi constaté que l’agriculture a aussi pris de l’ampleur durant ces 20 dernières années avec l’introduction des cultures maraichères la forêt à la place des cultures coutumières comme le taro et le bananier. Cela est justifié par beaucoup d’entre nous par les faibles rendements dans les champs proches du village dû à une exploitation intensive des terres depuis plusieurs années malgré l’appui à l’adoption des pratiques agricoles plus durables de plusieurs projets.
Ainsi que les grands arbres de la forêt disparaissent, il eût l’introduction des arbres de rente, plus particulièrement les girofliers et la plantation des cultures vivrières comme la patate douce, le manioc, la pomme de terre et le maraichage. Actuellement, des espèces comme : moiha, mhomba, mvaventré sont très rares.
Je voulais aussi ajouter que dans notre village, il y avait plusieurs sources d’eau dans la forêt et deux principales rivières, celles de Shiro et de Mtsatsa. Ces rivières coulaient toute l’année depuis la forêt jusqu’à la mer. Aujourd’hui elles sont devenues intermittentes et dépendent des saisons des pluies.
Une culture abandonnée :
Il y a aussi quelque chose important à signaler, à la suite du massacre de Majunga en 1976, il y a eu l’arrivée des nouveaux chefs religieux avec des prêches radicalisés. La population a commencé à abandonner la célébration des rites sacrés. D’où la destruction des sites sacrés qui étaient aussi des zones forestières et qui fournissaient des produits sacrés utilisés pendant les rites. Parmi ces rites, il y a le fameux Dade, évènement très connu au village puis célébré chaque année pour demander la bénédiction aux esprits (djinns) de donner une bonne production agricole.
Malgré les quelques initiatives communautaires ou bien avec des projets qui s’y mettent en place depuis vraiment longtemps, ne perdurent pas. Ils se heurtent aux problèmes de mentalités locales (difficultés de consensus communautaires, relation familiale, divisions politiques et religieuses…) d’où un manque de légitimité générale des règles de l’État et aussi locales par les habitants.
Je pense que nous devons penser aux générations futures puisque d’ici à 15 ans avec le même rythme de déforestation même le peu de forêt qui reste risque de disparaître. D’où réduire la déforestation est plus qu’urgent. La seule condition pour la réussite est qu’il ait une réelle volonté de part et d’autre de protéger les arbres que les gens sont en traine de planter. Une des solutions rapides serait aussi de laisser la forêt se régénérer naturellement, car je constate que dans la forêt les arbres poussent rapidement à l’absence des activités humaines. Enfin, le gouvernement doit réfléchir d’autres alternatives aux milliers des jeunes sans-emplois et sans espoir pour un avenir meilleur.”