On parle souvent de « lémuriens de Madagascar ». Mais les lémuriens, aussi appelés lémurs ou makis, peuvent également être aperçus dans nos îles des Comores. Très peu d’informations sont disponibles sur les makis présents à Anjouan et Mohéli. Ainsi, Dahari a lancé un projet de recherche sur ces animaux en collaboration avec Omaha Henry Doorly Zoo et le Madagascar Biodiversity Partnership. Entretien avec l’équipe écologie de Dahari.
IL Y A DONC DES LÉMURS QUI VIVENT DANS LA NATURE EN DEHORS DE MADAGASCAR ?
En effet, Il y a deux espèces vivant dans la nature en dehors de Madagascar. Le lémur mongos (Eulemur mongoz) est l’espèce que nous étudions à Dahari. Cette espèce peut être trouvée sur les îles d’Anjouan et de Mohéli dans l’archipel des Comores. L’autre espèce est le lémur fauve (Eulemur fulvus mayottensis). On peut le trouver sur l’île de Mayotte, qui fait aussi partie de l’archipel. Nous ne savons pas quand ou par qui le lémur mongos a été introduit aux Comores depuis Madagascar, mais c’était bien avant l’arrivée des Européens. Ce que nous savons c’est que la plus ancienne illustration connue de ces lémurs à Anjouan date de 1744 (Popo Bay Voyages and Travels de Churchill’s A Collection of Voyages, London, 1744).
COMMENT SE PASSENT LES ACTIVITÉS DE RECHERCHE ?
En partenariat avec Madagascar Biodiversity Partnership, notre équipe assure actuellement l’étude des tissus et fèces de lémuriens, pour mesurer la distance génétique entre la population à Anjouan et à Madagascar. La partie génétique du travail sera réalisée par le département de conservation génétique à Omaha’s Henry Doorly Zoo et Aquarium. En fonction des résultats de cette étude, la population d’Anjouan pourrait être utilisée comme une population source pour enrichir génétiquement la population de Madagascar.
A Anjouan notre rôle est de collecter les échantillons de fèces de lémuriens, et ce n’est pas une tâche facile. Les lémurs mongos vivent habituellement dans les zones forestières, dont les pentes excédent 75%. Ils sont donc difficiles à trouver et traquer. Etant donné la rareté de nourriture sur l’île les lémurs voyagent des distances significatives pour se nourrir et il est souvent difficile de les trouver. Et même quand nous trouvons les lémurs, nous ne pouvons pas toujours collecter les fèces – nous ne pouvons pas les suivre s’ils s’enfuient à cause des pentes raides. En dernier recours, nous avons commencé à les attirer avec des fruits mais nous n’avons pas eu beaucoup plus de succès. L’échantillonage prend beaucoup de temps et requiert patience et persévérance. Durant les cinq derniers mois nous avons pu collecter la moitié des échantillons nécessaires.
QUEL EST VOTRE SOUVENIR DE TERRAIN LE PLUS MARQUANT ?
En Mars, nous avons décidé d’organiser une grande recherche de lémuriens. Nous avons mobilisé 12 personnes de l’équipe de Dahari, nous nous sommes séparés en petits groupes, et nous avons parcouru la forêt. Notre objectif était de collecter au moins cinq échantillons de fèces. Malheureusement, nous n’avons pas eu de chance dans notre traque : il a plu la veille et les makis sont restés cachés au cœur de la forêt. Tout ce que nous avons pu récolter, ce sont des égratignures et des bleus !
QUELLES SONT LES MENACES QUI PÈSENT SUR LES LÉMURS À ANJOUAN ?
Les lémurs mongos sont l’une des espèces de lémuriens les plus menacés à Madagascar, mais aucune étude n’a encore estimé la taille de la population de cette espèce aux Comores. On ne sait donc pas si leur nombre diminue ou pas. A Anjouan, les makis peuvent être aperçus occasionnellement dans la forêt, et, durant la saison des fruits, dans les zones agricoles, les villages et même les villes. Ils apprécient particulièrement la mangue et le jacquier.
Les lémurs mongos sont aussi souvent domestiqués aux Comores. On ne sait pas encore si leur domestication est une menace pour l’espèce. En revanche, ce qui est sûr, c’est que les makis ne sont pas chassés ni consommés à Anjouan.
Nous pensons donc que la plus importante menace pour les lémurs mongos est la destruction de leur habitat naturel. D’après les Nations Unies, de 2000 à 2010, le taux de déforestation aux Comores atteint 9.3% par an, soit le taux le plus élevé au monde. Les principales causes de la déforestation sont l’expansion des zones agricoles et l’abattage des grands arbres pour le bois de chauffe.
QUE FAIT DAHARI POUR LA CONSERVATION DES LÉMURS MONGOS ?
Durant les sept dernières années, l’équipe de Dahari a soutenu plus de 2500 agriculteurs, en augmentant leurs revenus agricoles grâce à des techniques respectueuses de l’environnement, afin d’aider la conservation de la forêt. Nous travaillons maintenant avec trois communautés locales pour mettre en place les premières zones forestières protégées avant fin 2015.
A l’avenir, nous allons mener des recherches pour estimer la taille de la population de lémur mongos à Anjouan. Nous allons aussi chercher à identifier la distribution de l’espèce et le type d’habitat qu’elle préfère. Ces informations sont nécessaires si nous voulons développer un programme efficace de conservation de cette espèce.